L'école buissonnière
La fin de l'année signe la désertion des classes. Quelques élèves, désoeuvrés, traînent dans les couloirs désormais silencieux, tandis que les enseignants, non moins désemparés, cherchent désespérément à les occuper....nous sommes début juillet, c'est normal, pas de quoi fouetter Vincent Peillon un chat.
Sauf que.
Si l'on regarde attentivement le tableau récapitulatif des absences sur l'année, qui concerne une classe de 5ème lambda, que constate-t-on?
Que certains n'ont pas attendu la fin du mois de juin, ni même le début du troisième trimestre, ni même les premiers mois de l'année scolaire, pour faire "l'école buissonnière" (jolie expression légèrement tombée en désuétude, consistant pour mes élèves à traîner chez soi devant "les anges de la télé-réalité" ou face à l'ordi à échanger avec des copains de réseau des conversations aussi passionnantes que "wsh sa va tu fai koi? moi jbouf du kfc devan lordi trkl, lol!").
J'insiste lourdement sur le fait qu'on parle là de gamins de 12/13 ans. Je précise également que sur ces nombreuses absences, moins de 10% sont justifiées par les parents, et que, lorsqu'elles le sont, on a droit dans le meilleur des cas à un mot dans le carnet (parents hyper concernés) mais la plupart du temps à une vague réponse lorsque le CPE a passé 10 coups de fil ("oui, il/elle était absent(e), on devait aller quelque part...").
Quant au certificat médical, c'est une sorte de sainte relique que l'on n'aperçoit que rarement, si rarement qu'on finit par ne pas le reconnaître lorsqu'un élève consciencieux nous en tend un sous le nez. "mais c'est quoi ce truc? qu'est-ce que tu veux que j'en fasse? c'est illisible en plus! c'est ton? CERTIFICAT MEDICAL? non, sans blague? c'est un vrai? signé par un médecin? trop stylééééééééé!"
Il m'est arrivé, dans mes moments de ras-le-bol suprême, d'envoyer moi-même un sms énervé aux familles, lorsque des élèves séchaient impunément un de mes cours en se barrant du collège pendant la récré. J'ai parfois eu des réponses, certains parents me remerciant (j'en ferais autant si un prof me prévenait que ma collègienne de 12 ans se balade dans la "nature" alors qu'elle est censée être sagement assise en classe) (surtout si elle fait déjà 1m70, a de la poitrine, un mini-short et un tee-shirt en dentelle comme certaines de nos élèves), d'autres, sans aucune vergogne, me balançant un gros bobard (le coup du "ah il/elle s'est trompé(e), il/elle pensait finir à 15h30 aujourd'hui" restant dans les annales du grand classique. En parlant d'an(n)ales, t'as pas du tout l'impression qu'on essaie de t'entuber te faire prendre des vessies pour des lanternes quand on te sert cette excuse au mois de FEVRIER, genre fais-moi croire que ton gamin n'a toujours pas intégré que tous les jeudis il a cours jusqu'à 16h30.)
Ce qui me fait penser que ces parents-là font montre d'une complaisance extraordinaire vis-à-vis des absences de leur rejeton. Ils sont au courant (on dispose de tout un tas de moyens pour les tenir informés quasiment minute par minute) mais préfèrent fermer les yeux. Pourquoi? j'aimerais bien le savoir.
Que penser d'un enfant, à peine ado, et sûrement pas encore assez mûr et responsable, qui sèche allègrement certains de ses cours dès le mois d'octobre? quelle place accorde-t-il à l'école? et ses parents, comment peuvent-ils penser qu'il va réussir une scolarité en dents de scie, où la moindre contrainte n'existe pas, où le rythme scolaire et la continuité de l'apprentissage sont considérés comme facultatifs?
Si je pousse aujourd'hui ce grand cri de désespoir (AAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHH, voilà) c'est que je suis inquiète. Inquiète de voir qu'un enfant ne juge pas nécessaire d'aller à l'école, et que ses parents non plus. Ou en tout cas pas assez pour l'y obliger.
Je ne tiens pas à incarner cette espèce d'autorité respectable et respectée qu'était l'enseignant d'une autre époque, je n'ai pas décidé d'être prof pour pouvoir "me venger", "briser des rêves" "faire rentrer de force un enfant dans un moule" ou que sais-je encore, c'est même tout le contraire. En revanche, je ne veux pas qu'on me rende responsable de "l'échec scolaire" d'un enfant dont les parents n'assument pas leur rôle éducatif. Je ne suis pas la médaille miraculeuse, et je ne PEUX pas me substituer à l'éducateur premier, initial, fondateur, qu'est le parent (ou le tuteur, ou le représentant légal).
Moi aussi je suis parent, et oui, d'accord, c'est pas tous les jours marrant (quoiqu'en toute franchise, pour l'instant du moins, je n'aie pas trop à me plaindre de ma progéniture) (même si je ne suis pas sûre de me remettre du "tu m'éneeeeeerves!!!" de ma collégienne partie ce matin en claquant la porte) (bouhouhou, où est mon bébé?) (bref) mais JUSTEMENT, on se doit de donner le meilleur à ses enfants, alors pourquoi compromettre leur chance dès le collège en les autorisant à faire tout et n'importe quoi?